Je fais une virée un peu canaille (oh très peu !) à travers un ouvrage de haut vol : Les Fragments d’un discours amoureux, du philosophe et sémiologue Roland Barthes. Un de ces fragments réfléchit sur le thème de l’attente (de l’amoureux, de l’amoureuse) et finit par cette petite parabole :
Un mandarin était amoureux d’une courtisane. « Je serai à vous, dit-elle, lorsque vous aurez passé cent nuits à m’attendre assis sur un tabouret, dans mon jardin, sous ma fenêtre. » Mais, à la quatre-vingt-dix-neuvième nuit, le mandarin se leva, prit son tabouret sous le bras et s’en alla.
Le silence qui suit ce dernier verbe me paraît vertigineux. Les questions se bousculent : Que s’est-il passé après ? Peut-être est-il allé attendre nonante-neuf nuits sous la fenêtre d’une autre courtisane. Peut-être a-t-il utilisé son tabouret pour se pendre. Peut-être la courtisane est-elle restée nonante-neuf nouvelles nuits sur son balcon à attendre le tabouret et le mandarin... L’attente peut être à la fois un supplice (chinois ?) et une jouissance. L’aimé est déjà là et pas encore réellement présent.
Depuis le Cantique des cantiques, les scénarios amoureux sont de plain-pied au cœur de la foi chrétienne. L’attente de l’Aimé, l’espérance d’une vie éternelle avec Dieu, est le noyau de toute vie de croyant, qui fait l’expérience de Son absence en même temps que de Sa présence.
Finalement nous sommes tous des mandarins assis sur nos pauvres tabourets attendant dans les nuits du monde le sourire de la Vie éternelle.
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