mardi 28 juin 2016

la médecine alternative (suite)


L’autre jour un ado de la paroisse vient me demander de l’aider avec une aspirine parce que son pouce le fait souffrir ; un abcès s’ouvre et est en train de s’infecter. Je n’ose pas lui demander d’enlever le petit torchon brun et souillé dont il s’est entouré le doigt et je lui dis qu’il lui faut aller directement au dispensaire car mes aspirines – mêmes européennes et non chinoises ! – ne peuvent pas faire des miracles.

Je le revois aujourd’hui plus épanoui et je lui demande comment va son pouce. Il me dit qu’il va bien. En même temps qu’il me montre un doigt tout gonflé mais sec et cicatrisé, il me dit qu’il n’est pas allé au dispensaire mais s’est soigné avec un fétiche.
Que diable !
J’essaie de comprendre et je lui demande ce qu’est pour lui un fétiche. Il me raconte qu’on fait une pâte avec un jus de plante, de l’huile et du sel...
Donc c’est un médicament, lui-dis-je.
-Non ce n’est pas un médicament, c’est traditionnel !
- C’est quoi un médicament pour toi ?
- Je ne sais pas expliquer... par exemple : paracétamol !
- Ok cela c’est un médicament chimique mais toi tu as été soigné avec un médicament traditionnel que t’a préparé ta maman...
- non ce n’est pas ma maman qui a fait le fétiche mais une voisine qui sait faire !
On s’explique un peu. Lui comprend que la médecine traditionnelle est une médecine avec ses médicaments et ses soins et moi je comprends que les fétiches ne sont pas des poupées dans lesquelles on plante des aiguilles mais aussi tout objet de la médecine traditionnelle que les villageois expérimentent lorsqu’ils n’ont pas de sous pour aller au dispensaire ou quand ils trouvent qu’on a de meilleurs résultats avec les pratiques ancestrales.
Au repas, je demande à un confrère ce qu’est pour lui un fétiche. Il me répond que ce sont les moyens que la culture traditionnelle africaine a mis au point soit pour protéger et sauvegarder les énergies vitales, soit pour les détourner vers le mal. Ainsi y-a-t-il des fétiches bénéfiques et des fétiches maléfiques.

vendredi 24 juin 2016

la médecine alternative

Les conversations à table prennent sur ma colline au Congo des allures qui font douter de qui mystifie qui.
L’autre jour, entre l’ananas et le fromage, arrive l’histoire d’un monsieur qui a été blessé dans un accident de motos, comme il y en a tous les jours à la ville. C’est un intellectuel de l’administration pédagogique ; on lui a ainsi permis de travailler à la maison pour faciliter le lent rétablissement de sa jambe brisée.
Un des confrères dit alors qu’il a décidé, contrairement aux autres blessés de l’accident, de se soigner à la médecine traditionnelle. Et il entreprend de m’expliquer. On casse une patte à une poule, on soigne cette patte et la jambe du monsieur par analogie se rétablit en même temps que la patte de la poule.
Devant mon air interloqué, un autre confrère précise. En fait on fabrique des cataplasmes avec des produits naturels qu’on applique à la fois sur la jambe du malade et sur la patte cassée de la poule et on surveille les deux blessures jusqu’au complet rétablissement des deux blessés !
Et une discussion s’engage ou s’enlise, parce qu’un des confrères dit que cela marche plus ou moins bien parce que la poule n’a que 2 pattes...
Alors que l’homme marche à quatre pattes comme chacun le sait..., renchéris-je pour essayer de ne pas être le dindon de cette farce-là.

Cela ne guérit qu’imparfaitement ma figure interloquée, car je ne suis pas sûr que ce soit une farce. J’ai encore bien du chemin à faire pour comprendre où on veut me mener dans cette Afrique.

lundi 20 juin 2016

la fin de l'année scolaire

Aujourd’hui – nous sommes à la mi juin -  Théo, le directeur de la chorale des jeunes de notre paroisse est venu demander une bénédiction avant de prendre le maquis. Le maquis est la période de préparation les examens d’Etat, le baccalauréat congolais.

Une première session d’examens a déjà eu lieu au début mai, elle a consisté dans la grande épreuve de la dissertation et différents oraux. Maintenant se profilent 4 jours d’examens des branches générales et des options qui sont essentiellement de QCM (questionnaires à choix multiples), fondés sur de la chance, de la mémoire et un peu d’intelligence.

Or cette deuxième session est précédée d’un maquis. C’est-à-dire un séjour dans un endroit autre que l’école, où un groupe d’élèves révisent (avec un maître de l’école ou seuls)...

Sauf chez les élèves, les maquis ont assez mauvaise réputation, parce que participants et participantes ne font pas que réviser mais aussi tout ce que les jeunes font en pareil cas et, il n’est pas rare qu’on rentre du maquis plus nombreux qu’au début ! Je suis donc d’autant plus motivé à donner à Théo une bonne bénédiction, outre le fait qu’il a quelques soucis avec les branches culturelles (histoire, géo)...

Le maquis est entouré aussi d’une autre réputation, car cela peut être le lieu de la corruption : même si le système des examens devient de plus en plus strict et contrôlé, il reste toujours (dans la rumeur en tout cas) la possibilité pour des professeurs véreux de soudoyer les fonctionnaires qui reçoivent les épreuves de la Capitale pour connaître les questions et préparer ensuite les élèves de façon malhonnête mais rémunératrice.

Théo reviendra sur la Colline dans quelques jours, puis il lui faudra attendre la « proclamation » (des réussites) qui arrivera au début juillet, mais à une date non fixée, qui dépend des correcteurs et de l’administration scolaire nationale.


Par contre Sylvain, un de nos paroissiens et servant de messe, est rentré au village après avoir bien réussi sa première année au Lycée, il a obtenu le 5e rang sur 55 élèves... dans la même classe !

samedi 18 juin 2016

des singes et des hommes

Dans un terminal de l’aéroport de Kinshasa trône une publicité en faveur de la conservation des grands singes. De magnifiques photos de chimpanzés et gorilles encadrent trois slogans : La douane de la RDC lutte contre le trafic illicite d’espèces sauvages. Sauvons les derniers grands singes sauvages. Soyons le rempart entre leur survie et leur disparition.

Il y a là quelque chose de pathétique. Il faut conserver les espèces animales et la biodiversité ; une lutte constante contre les dégats que l’homme inflige à la nature est plus que nécessaire. Et pourtant on ne peut s’empêcher de mettre en relation le massacre des singes et le massacre des humains : sur ce dernier, aucun slogan nulle part... On tue si allégrement en RDC que cela devient de la routine.

Dans l’est du pays, près des « sanctuaires » des grands singes, des hommes se font massacrer, des femmes se font violer, des enfants se font exploiter dans des mines gérées par des espèces sauvages qui n’ont pas toutes la peau noire et dont certaines portent cravate et attaché-caisse.

La lutte contre les trafics illicites doit s’opérer inlassablement, mais il est malheureusement possible d’être plus touché par le massacre des gorilles que par celui des êtres humains. Peut-être en imaginant, par un cynime inconscient, que l’espèce humaine est si féconde en RDC qu’elle n’est pas en train de disparaître... Dès que le caractère sacré de la nature humaine n’estompe dans la pensée, celle-ci dérape facilement. Et la conservation des grands singes est la peau de banane de la pensée écologique.

lundi 13 juin 2016

les pécheurs

Ce dimanche ma messe commence devant l’église : une jeune fille qui semble avoir du jeu dans les rouages supérieurs s’agite et crie sous les manguiers. Je me souviens que c’est elle qui a semé la pagaille dimanche passé en chantant encore plus à tue-tête que tous les autres et en dansant de façon incongrue au premier banc.

Pour éviter que cela ne recommence on recommande au sacristain de ne pas lui permettre d’entrer dans l’église ; elle maugrée, cherchant la parade.

La messe commence... L’introduction annonce une eucharistie bien centrée sur la miséricorde comme on le verra à l’évangile.

Au gloria, je vois que la folle profite d’un moment d’inattention pour se faufiler dans les derniers bancs, mais semble vouloir s’y tenir tranquille. Après un moment d’inquiétude, je respire. Evangile.
« Survint une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait appris que Jésus mangeait avec le pharisien, et elle apportait un vase précieux plein de parfum... »

Je cherche des yeux ma folle et ne la trouve pas...
« Le pharisien se dit en lui même : si cet homme était prophète il saurait qui est cette femme... »

Je prêche : nous sommes tous des pharisiens par certains aspects de notre vie et tous des pardonnés par d’autres. Toute l’assemblée semble d’accord, mais je ne vois pas où est passée ma folle.

A la communion je l’ai presqu’oubliée quand l’esclandre arrive. Elle est dans la colonne et à un mètre de moi, le sacristain s’interpose et veut l’empêcher de communier. Est-ce qu’il a écouté le sermon ? Elle, il semble que oui. C’est sans doute elle qui, de toute l’assemblée (moi compris),  a le mieux saisi de quoi il retournait.

jeudi 9 juin 2016

le congé parental et le contrôle des naissances

Je retourne sur ma Colline au Congo, au moment de terminer la lecture et la méditation d’Amoris Laetitia de notre pape François.

«L’Évangile de la famille nourrit également ces germes qui attendent encore de mûrir et doit prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ont besoin de ne pas être négligés » (Amoris laetitia 76)

Dans l’avion qui me conduit de Kinshasa à Kananga, la capitale de ma province, je lis la revue qui se trouve dans le porte-document devant moi.

Un article m’interpelle. Constatant que l’Afrique a le plus haut taux de mortalité d’enfants en bas âge, que les causes de ce fléau sont les accouchements rapprochés et l’absence de politique de régulation des naissances, le texte affirme qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il veut mettre en évidence la volonté de la culture ancestrale du Congo de contrôler la fécondité des familles et de limiter les naissances, au moyen d’une pratique appellée de différents noms suivant les ethnies mais ayant les mêmes traits et les mêmes buts.

Dans les petits clans précoloniaux, une femme qui mettait au monde un enfant était prise en charge entièrement par l’ensemble de la communauté pour tous ses besoins. Ecartée de sa case et de ses occupations habituelles de ménage, elle pouvait ainsi nourrir et s’occuper exclusivement du nouveau-né. On la gavait de nourriture pour que son lait soit fortifiant pour le bébé, et on leur donnait une huile spéciale destinée à éloigner moustiques et autres insectes porteurs de maladies mortifères. Cette période durait entre 18 et 24 mois ! Un vrai congé maternité, intégré et assumé par toute la communauté.

Mais la conclusion est intéressante. Je cite :  Cette pratique « qui est toujours d’usage dans plusieurs tribus des deux Congo  ne peut se pratiquer raisonnablement que dans le contexte rural où les individus construisent et habitent en clan et aussi uniquement dans un contexte de polygamie, car il est impensable dans un contexte de monogamie de priver l’homme de sa femme 18 ou 24 mois durant. »
Cette conclusion, mise en relation avec la dynamique profonde que le Synode et l’Exhortation apostolique ont suscitée, ouvre un abîme de réflexions et de défis très divers.
Il est évident que la colonisation, l’urbanisation, la globalisation et l’évangélisation de l’Afrique ont des effets positifs sur le continent, l’autoflagellation des anciens coloniaux et missionnaires n’apportant rien de positif. Par contre il faut être lucide sur les effets pervers de celles-ci. Et être extrêmement inventifs pour sauvegarder et développer les intuitions des cultures locales tout en menant les couples et les familles vers leur épanouissement évangélique. « Prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ont besoin de ne pas être négligés ».


PS : Je me demande si une telle réflexion ne peut pas être transposée, analogiquement, à la situation et aux défis des pays dits de l’Occident ?