mercredi 19 octobre 2016

le vivre ensemble

Parlant des difficultés de la vie en commun, un ami prêtre africain m’a sorti un joli proverbe que je ne résiste pas à propager :

Dans une petite case, même les casseroles solides se heurtent et font du bruit.

Souvent on rêve d’une société, de familles, de relations toutes ouatées et sans bruit, sans frottement. C’est illusoire. Comme s’il était possible d’avoir des casseroles en caoutchouc ou en tissus ! Ce n’est d’ailleurs pas dans les casseroles en bois ou en platique mou qu’on fait les meilleures soupes !

Il faut accepter de se frotter aux autres et de faire tinter une musique la moins désagréable possible.

Il faut aussi savoir élargir ses espaces. Si la case est trop petite, les casseroles se heurtent d’autant plus, mais si on est moins confiné, plus au large, si on respire mieux, on se heurte moins...


vendredi 14 octobre 2016

le jardin d'Eden

Dans un Congo sinistré, lorsqu’on rencontre un endroit beau, paisible, bien organisé, on s’en donne à cœur joie. Telle fut mon expérience au Jardin botanique de Kisantu.
Sur l’antique ligne de chemin de fer entre Kinshasa et le port de Matadi, Kisantu est une petite ville fortement marquée par la présence religieuse : une cathédrale en briques vernies du meilleur effet et de grands établissements scolaires jésuites font sa réputation, depuis fort longtemps. 
Au début du 20e siècle un frère belge a consacré toute sa vie à une de ces fortes passions que l’Ordre d’Ignace a toujours su encourager. Le frère Justin Gillet a organisé un immense parc botanique et fait venir des milliers d’espèces de plantes et d’arbres du monde entier. Depuis, l’Etat l’a repris et on aurait pu s’attendre au pire (comme au jardin zoologique de Kinshasa) et bien non ! Grâce à des appuis d’organisations de protection du patrimoine, le parc botanique de Kisantu tient toutes ses promesses. Les allées sont entretenues, les arbres sont répertoriés par de savants petits panneaux et on peut même visiter un musée d’objets végétaux et la pépinière...
Après m’être extasié sur la beauté d’arbres très exotiques et très majestueux, je me disais: « si seulement les hommes étaient traités ici comme les plantes ! » Et voilà que je tombe au cœur du parc ... sur une école (secondaire, option agronomie), pendant la récréation des étudiants en beaux uniformes scolaires ou en bottes et vêtements de travail impeccables. Comme quoi il ne faut désespérer de rien.




dimanche 9 octobre 2016

la famille africaine

Guylaine ma filleule homonyme, et la main protectrice de son papa 
Je suis pour quinze jours à Kinshasa, la grande métropole de 12 millions d’habitants.  Je suis accueilli dans une communauté religieuse. Mais voilà que c’est plutôt la vie familiale des Congolais qui me saute à la figure à partir de deux histoires qu’on me raconte et qui montrent les ambiguités crucifiantes des traditions familiales en Afrique.
 On m’avait dit que la famille est une des valeurs essentielles de l’humanité africaine et que celle-ci avait des leçons à donner à l’Europe. Lors du récent Synode sur la famille, les Evêques africains ont mis en exergue les valeurs familiales de l’Afrique alors qu’elles sont de plus en plus laminées en Europe par l’individualisme et les destructurations idéologiques (théories du genre et mariage pour tous, par exemple).
Je crois qu’il faut se battre pour une évangélisation de toutes les cultures familiales et ne pas idéaliser telle ou telle d’entre elles.
Deux histoires au ras du sol africain :
Je me promène avec un confrère prêtre dans le quartier de son couvent quand une veuve de la paroisse nous hèle et nous invite chez elle : devant un verre de bière qu’elle a la gentillesse de nous offrir nous discutons et en arrivons à son histoire familiale et à la grosse rupture qu’a causée la mort subite de son mari alors que ses enfants, adolescents, étaient aux études. Elle est fière de dire qu’avec son petit travail d’infirmière elle a réussi à faire faire des études supérieures à ses trois filles et à son garçon.... « Mais qu’est-ce que j’ai souffert avec ma belle famille » dit-elle avec de l’émotion dans la voix. C’est une coutume congolaise qu’à la mort du conjoint, les frères et sœurs du défunt viennent prendre tous ses biens, sans s’occuper du fait que ceux-ci ont été acquis en communauté conjugale de bien. Ainsi la veuve peut être laissée à la rue avec ses enfants. Dans le cas précis, la famille était relativement aisée puisqu’elle avait une grande concession et même une voiture. Le véhicule ainsi qu’une grande partie des  biens mobiliers et immobiliers ont été pris par la belle famille et la veuve aurait été laissée sans ressources si elle n’avait pas un travail rémunéré... C’est la tradition, derrière laquelle se cache une accusation terrible, si le frère est mort c’est à cause de la belle-sœur... Lorsque, plusieurs années plus tard, la fille de celle-ci veut s’établir, la famille de son père - qui ne s’est pas occupée des études de la nièce - veut participer au partage de la dot qui doit être élevée puisque la fiancée a un bon niveau...
Terrible.
Une autre histoire qui ne l’est pas moins.

Au couvent, un confrère revient d’une cérémonie de deuil. Sa sœur – en fait une cousine - vient de perdre son mari avec qui elle s’est unie l’an dernier et qui est mort dans un accident de moto. La cérémonie s’est déroulée dans des conditions évidemment déchirantes mais derrière : un autre drame. En Afrique il faut toujours trouver une raison au décès de quelqu’un, la mort n’est jamais naturelle, c’est une rupture de la vie, c’est  toujours un drame. Le jeune couple était marié depuis quelques mois mais la jeune femme n’était toujours pas enceinte et on s’inquiétait. Une analyse médicale a révélé que tout était en ordre du côté de la femme et qu’il fallait peut-être examiner le côté masculin. Mais c’est impossible. Le jeune mari poussé par ses proches est plutôt invité à trouver une autre épouse. Qu’il trouve effectivement. Avec cette nouvelle fille, il visite à moto la famille de celle-ci à plusieurs dizaines de km pour s’accorder sur le contrat de ce nouveau mariage. C’est au retour de ce voyage qu’un accident tue les deux jeunes gens... L’histoire est racontée jusque là... mais les non-dits parlent fort.

lundi 3 octobre 2016

l'effet CUCA

Depuis quelque temps lors des fêtes ou des réjouissances, je bois une petite bière blonde un peu sucrée qui me convient très bien lorsqu’elle est dans une bonne fraîcheur presque glacée. La « CUCA » arrive au Kasai depuis l’Angola où elle est brassée et conditionnée. Elle nous arrive en canette de 33 cl ce qui nous change des grosses bouteilles « interminables » de 75cl...
La CUCA est pour moi et pour beaucoup le signe d’une amélioration économique apportée par la création d’une grande artère, une piste tracée à travers la savane par des buldozzers, des ingénieurs et des ouvriers chinois. Il s’agit d’un des projets d’amélioration économique et sociale que la province a lancés ... Beaucoup de projets gouvernementaux ont fait naufrage, mais la route vers l’Angola est bien là... Bien sûr elle n’est pas asphaltée, ni complètement achevée ; il y a des ravins qui menacent de la couper, des ornières de boue séchées qui gènent les camions après les pluies, mais petit à petit les villages qu’elle traverse voient leur condition de vie s’améliorer et la bière, récompense du travail bien fait, rafraîchir les gosiers.
La frontière angolaise est à 300 km de Kananga et le niveau de vie en Angola est nettement plus élevé que celui du Kasaï qui grâce à cette nouvelle artère bénéficie du bond économique angolais et est un peu moins enclavé.
Alors que dans la plupart des domaines, le pays sombre, la CUCA met un peu d’espoir au cœur et de la fraîcheur aux papilles.