vendredi 26 juin 2020

l'essentiel


Il y a quelques mois, à Kinshasa fleurissaient sur les avenues d’énormes affiches qui prétendaient en belles lettre blanches sur fond brun : « Vous rapprocher de l’essentiel ». Qu’est-ce donc ? Quel est cet essentiel dont il faut nous rapprocher ?
Je repense à ces affiches au moment où le déconfinement général et même teinté d’un peu de peur nous incite à revoir nos priorités de vie. « Vous rapprocher de l’essentiel ».
C’est bien joli, mais comment ? et comment dégager « l’essentiel » de ce fatras de choses que l’on croit « nécessaires »  dans notre quotidien ?
Comme les complotistes au plus haut de la pandémie, les spécialistes du retour à l’essentiel se donnent à cœur joie et nous laissent aussi un peu médusés : priorité attitude écologique, comportements simplifiés dans nos relations, maîtrise de nos urgences au profit d’une slow life, une vie plus lente et plus sobre que pourtant rien autour de nous vient aider ...
L’affichage kinois lui non plus ne nous aide en rien, car c’est le slogan publicitaire d’une grande compagnie de téléphonie mobile ! La phrase accompagne un certain nombre de chiffres et signes qui permettent d’avoir – d’acheter - des mégas et des gigas de flux internet sur son smartphone !
A Kinshasa et comme en beaucoup de pays du Sud, les opérateurs de télécommunication constituent la principale industrie, la seule peut-être qui a vraiment le vent en poupe. Tous les jeunes Africains mettent leur priorité dans la qualité, l’efficacité et la puissance de leur téléphone portable. 
Le positif c’est que les gens sont invités à communiquer, mais le négatif c’est qu’à force de pouvoir communiquer n’importe comment avec tout le monde, on ne se rapproche pas nécessairement de l’essentiel. Tout le monde, est-ce encore quelqu’un ? Un bon sujet de méditation pour un week-end de déconfinement. 





vendredi 19 juin 2020

un passager clandestin

Fraîchement débarqué du Congo où le confinement se vivait à la manière souple du Sud, je m’étonne des méthodes de déconfinement de ma Suisse. Je fais ma convalescence en mon Abbaye de Saint-Maurice et c’est là que je vis ma première messe de l’après-pandémie. La messe de la Fête-Dieu. Tout est organisé pour respecter à la lettre les prescriptions tant gouvernementales qu’ecclésiales. A la porte de l’église, un novice veille au grain, compte les fidèles... Tout se passe bien et la procession du Saint-Sacrement dans la basilique se révèle une alternative positive à la grande parade de la Fête-Dieu dans les rues de la ville.
Au repas, on discute de tout cela. Le novice nous raconte que des policiers en civil se sont arrêtés devant notre basilique, ont sorti un appareil sophistiqué qu’ils ont dirigé vers l’église, y ont lu le nombre de fidèles présents à l’intérieur grâce aux signaux de leur portable, ont vu que tout était en ordre (pas de dépassement du nombre autorisé) et sont partis.
Je suis ébahi. A la fois émerveillé devant une telle prouesse technique et un peu inquiet sur les capacités de « traçabililité » de nos personnes... En fait cela ouvre un abîme de perplexité. Où vons-nous ? dit-on ironiquement au Congo !
Puis je me souviens que j’avais oublié mon portable dans ma chambre. Et donc j’étais à cette messe comme un passager clandestin sur la grande Nef eucharistique qui va sa route sur la mer du Temps. Les sbires humains ne m’ont pas repéré. Mais celui qui tient le gouvernail m’a compté. En secret !


vendredi 12 juin 2020

un bon Bordeaux


Je me suis fait un nouveau copain. Michel Eyquem, seigneur de Montaigne. Une rude, sacrée et belle personnalité du 16e siècle. Franc comme un bon bordeaux, coloré par son Sud-Ouest, politicien mais préférant la tranquillité de sa bibliothèque, voyageur mais préférant la découverte de lui-même, militaire mais préférant la rencontre, même avec ses ennemis, Montaigne est une personnalité des lettres et de la philosophie françaises qu’il vaut la peine de fréquenter. 
Ses Essais (titre on ne peut moins prétentieux) sont remarquables de bon sens campagnard, de hauteur de réflexion et de lucidité déroutante. 
Un exemple. Montaigne réussit à nous prouver que les cannibales sont bien plus civilisés que ces guerriers qui passent sous sa tour de garde. Car enfin, les cannibales tuent leurs ennemis et, pour tirer d’eux une suprême vengeance, ils les mangent. Bon. Mais ne sont-ils pas bien pires ceux qui, avant même de tuer leur ennemis, les torturent gratuitement, les font souffrir avec milles artifices et mettent du génie à les dégrader...
Montaigne nous apprend à bien vivre, c’est-à-dire à envisager de mourir un jour. Il a une simplicité devant le destin quotidien qui ferait du bien à beaucoup de nos contemporains. De notre temps je n’hésiterai pas à lui confier l’éditorial d’un grand journal d’une grande capitale !
Montaigne est mort vieux et il a assumé avec une belle sérénité sa vieillesse. C’était en 1592, il avait 59 ans, l’âge que j’ai cette année. Ne l’aurais-je pas découvert trop tard ? Je pense que non.


PS : des nouvelles de ma santé...
Je suis sorti de l'hôpital mercredi 10 et je suis actuellement en convalescence à l'Abbaye. 
Les choses s'améliorent petit à petit et à des vitesses différentes. Je suis toujours sous antibiotique. Mon oeil "s'éclaircit", ce sera un peu long, mais la direction est bonne!
L'orteil, récemment opéré, doit encore être surveillé attentivement tant par les infectiologues que par les orthopédistes. 
Mais surtout le moral et l'âme restent au beau fixe, les copains (comme Montaigne) et le bon rouge de l'Abbaye aidant ! 

mercredi 10 juin 2020

les ronds de Lourdes

De mon lit d’hôpital, j’assiste à la messe dominicale retransmise depuis Lourdes. Le déconfinement et la pluie se sont alliés pour donner à cette eucharistie un petit air gris et triste. 
Les parapluies cachent les gens assis devant la grotte. Derrière, la vue plongeante de la caméra montre des ronds dessinés sur l’esplanade pour inciter les fidèles à respecter les distances sanitaires. Certains ronds sont occupés par des pèlerins emmitouflés dans leur coupe-vent, d’autres ronds attendent... 
Mon esprit vagabonde un peu ; c’est le chant du gloria et je n’ai pas l’âme à jouer les choristes seul dans ma chambre. Cette vue me fait penser à la visite archéologique de quelque église d’antan dont il ne reste qu’un parterre, quelques colonnes, arcs et bouts de murs. Pour faciliter la compréhension des visiteurs, on a tracé sur le sol la place des colonnes manquantes et d’après leur nombre on peut évaluer l’étendue du « manque ».
A cette messe de Lourdes, comme à toutes les messes même les plus populeuses, il «manque » des gens ; leur place est tracée à la surface du désir de Dieu. 
Mais bien des ronds sont occupées, par soleil ou par pluie. Et cette infinité de vivants, debout dans leur foi et leurs doutes, dans leurs certitudes et leur recherche, dans leur croyance et leur mécréance, fait l’Eglise, architecture spirituelle et improbable, en chantier jusqu’à la fin du monde. 
Messe après messe, les petites colonnes, fragiles mais jamais futiles, construisent à la surface du désir de Dieu, la cathédrale de l’éternité. 





lundi 8 juin 2020

Dieu

Petite réflexion pour les lendemains de Pentecôte et de Sainte Trinité... et pour nous préparer à la Fête-Dieu !



PS. Mon état de santé 
Je suis toujours à l'hôpital de Rennaz mais mon état de santé s'améliore. L'infection de la vessie est guérie. L'oeil s'améliore gentiment; alors que j'étais à10% de vision, je pense que j'en suis actuellement à 60%, toujours avec un voile opaque mais qui disparait lentement. A l'hôpital ophtalmique on me dit que ce sera long mais que cela va du bon côté. Il y a peut-être un lien entre l'infection du poumon et celui de l'oeil et je suis sous traitement d'un antibiotique plus ciblé que celui, à large spectre, qui m'a assommé en Afrique. On a opéré l'orteil quand on s'est aperçu que l'infection commençait à attaquer les os. Là aussi cela s'améliore notablement mais il faut attendre encore pour bien juger l'évolution...
Sans doute pourrai-je sortir de l'hôpital durant cette semaine, pour passer ma convalescence à l'Abbaye. Merci pour votre accompagnement d'amitié et aussi de prière, moi je prie pour vous tous qui venez vous égarer sur mon blog... Cordialement.