mardi 25 avril 2017

les livres

Le système scolaire du Kasaï a été mis à mal par la guerre. Les rebelles ont exigé que toutes les écoles ferment et c’est ce qu’elles ont dû faire pendant les troubles. Maintenant la situation est en train très lentement de s’arranger et on espère que les élèves qui doivent passer des examens de diplômes (fin de primaire et fin de secondaire) puissent le faire. Les écoles rouvrent dans les zones calmes et tout le monde souhaite que les sessions puissent se dérouler le plus normalement possible.

C’est un enjeu surtout pour le diplôme d’état (bac congolais) qui s’organise au niveau national ; il ne faudrait pas que nos provinces kasaïennes manquent ce train.

Ces jours je fais des révisions avec les trois candidats de la paroisse. Pour les exercer à la dissertation, je leur donne un sujet de composition : « Est-ce que les livres rendent intelligent ? » Ils ont sué à faire ce travail et moi autant à essayer de comprendre ce qu’ils ont voulu dire tant leurs phrases sont tarabiscotées et leur orthographe... phonétique, mais congolaisement phonétique, ce qui la rend encore plus étrange (parce que mes yeux ont l’accent valaisan !)

Une chose m’a surpris. Pour chacun des trois, on ne rencontre des livres que dans deux lieux : à l’école : les manuels et à l’église : les livres de Dieu. J’ai essayé de leur faire comprendre qu’il y avait aussi des livres ailleurs, mais dans un premier temps ils ne comprenaient pas et se montraient étonnés quand je disais que pour moi 95% des livres n’avaient jamais vu une école, ni une église.

Ai-je vraiment raison d’être surpris? Chacun des trois vit dans une petite case en chaume et torchis, sans lumière. Il est complètement incongru d’y trouver un livre.

Un livre est un truc de riche. Une richesse que les riches gaspillent allégrement, et que les plus pauvres de la terre ne peuvent voir que dans les ambiances sacrées de l’école et de l’église.


Quant à savoir si cela rend intelligent, on en reparlera plus tard, lorsqu’ils seront juste assez riches pour pouvoir se poser la question.

vendredi 21 avril 2017

les migrations




Les campagnes électorales diverses de l’Europe sont marquées par le thème de l’immigration. On peut comprendre que l’arrivée de nombreux migrants par les routes de la Mer et des Balkans suscite des inquiétudes de la population par rapport au chômage, aux violences des maléduqués et à la perte de valeurs culturelles traditionnelles. Même si ces inquiétudes sont très exagérées par les populistes.

Laissons de côté le problème de la guerre (en Syrie et ailleurs, qui mérite des solutions particulières) pour parler des migrations à connotation politique et économique (c'est d'ailleurs la même chose!).

Le dessin que voici doit être ajouté au dossier. Beaucoup d’Européens ne veulent pas voir que l’Europe (comme l’Amérique et la Chine) pille les ressources des pays africains, souvent avec la complicité des gouvernants de ceux-ci. Si nous regardons avec lucidité cela et si nous nous engageons pour une bonne gouvernance des pays africains (et il y a des moyens de le faire), le commerce de ces pays deviendrait plus juste, ils s’enrichiraient et leur population ne serait plus obligée d’émigrer.

Nous serions gagnants au point de vue de la justice, qui est aussi une valeur traditionnelle européenne. Je pense même que nous serions gagnants aussi économiquement. Nous paierons un peu plus cher certains biens de consommation mais nous paierons moins cher l’intégration de gens qui aimeraient surtout pouvoir avoir une vie decente mais dans leur pays d’origine !

Moi qui vis en Afrique, je vois bien que les gens sont attachés à leur terre, autant qu’un Valaisan ou un Alsacien peuvent l’être, mais les conditions de vie y sont tellement dures que tous les jeunes rêvent d’un ailleurs et d’un autrement.

lundi 17 avril 2017

le feu de Pâques dans un pays en guerre

Sur notre colline du Kasaï en guerre nous avons pu vivre les célébrations de la Semaine Sainte et de Pâques presque normalement. Actuellement – pourvu que cela dure - notre sanctuaire est calme et protégé des exactions des milices et des soldats qui se battent encore sur les collines environnantes. Malgré cela un certain nombre de nos paroissiens ne vivent plus dans leur petite case au village mais se sont réfugiés dans la forêt dans de huttes encore plus petites et peu protégées des moustiques, de la pluie et du froid qui accompagne la pluie...
Ce contexte fait que le moment le plus touchant pour moi des célébrations est celui qui a précédé la Veillée pascale, que nous avions prévues à 18h pour que les gens ne retournent pas dans une nuit trop avancée. Mais il y avait du retard dans la préparation et donc j’ai eu une petite demi-heure à attendre. J’ai pu prier pour les gens qui arrivaient, eux aussi en retard, et qui apportaient un morceau de bois pour le feu nouveau, qui de petit qu’il était à 18h devint conséquent à 18h30.
Telle vieille maman apportait sur sa tête une grosse branche tordue, tel enfant avec une petite souche sèche... Le lien était fait entre la forêt refuge de cette période de souffrance et le feu qui va annoncer une lumière qui détruit toute mort et toute peur.
 Il y a de temps en temps des rites non prévus par les livres mais que à qui la réalité donne une profondeur insoupçonnée.

lundi 10 avril 2017

Servir !


Un beau lundi congolais commence. Depuis la chapelle, aux arcades largement ouvertes sur le paysage, je vois le vert des palmiers et des acacias vibrer dans la brume, au-dessus du fleuve, en contrebas de notre colline. Le soleil va se lever dans quelques minutes. Les laudes, la prière du matin de l’Eglise, commencent. Les confrères sont là, ainsi que quelques uns de nos paroissiens.

« Seigneur, ouvre mes lèvres.
Et ma bouche publiera ta louange »

Je baisse les yeux et je vois une araignée foncer sur moi. Elle n’est pas très grande mais elle a pourtant des pattes striées et un corps tigré de brun et de noir, bien marqués sur le sol rougeâtre. Elle s’arrête brusquement à un mètre de moi, comme si elle avait vu que je l’avais vue.

Psaume 23 : « Au Seigneur le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants... »

Est-ce que je vais étendre mon pied pour écraser cette habitante de la terre comme moi ? Qui comme moi appartient au Seigneur ! Pour le moment on s’observe du coin de l’œil en attendant une décision cruciale de part et d’autre...

Psaume 134 : « Louez-le, serviteurs du Seigneur,
qui veillez dans les parvis du Seigneur,
dans les parvis de la maison de notre Dieu. »

Lorsque je quitte le livre des yeux je ne la vois plus à sa place sur le sol. Je cherche, un tantinet inquiet pour les fûts de mon pantalon. Non. Elle est là-bas, elle a bifurqué à gauche et s’est engouffré sous l’autel de bois.

C’est sans doute sa manière à elle de veiller et de servir dans les parvis du Seigneur.

BON CHEMIN PASCAL A LA SUITE DU SERVITEUR!

jeudi 6 avril 2017

Je suis Kasaï

Visage épanoui d’un de mes confrères, lorsqu’à table il nous a annoncé :
- « Le Pape a prié pour le Kasaï ».
- « Oui, dit un autre, le pape connaît bien le Congo grâce au Cardinal Mosengwo, d’ailleurs il a décidé de venir à Brazza mais pas à Kinshasa, parce qu’avec Kabila ça ne va pas ! »
- «  Il connaît les problèmes du Congo, mais il a prié pour le Kasaï, il a cité dans sa prière le nom de notre région ! »C’était à l’angelus d’hier dimanche, à Carpi, une petite ville d’Italie du Nord sinistrée par un tremblement de terre.  L’Eglise universelle célébrait la messe de la résurrection de Lazare. Devant les villageois fourbus de la colline, j’avais prêché sur toutes ces morts que Jésus vient vaincre, tous ces tombeaux qu’il vient ouvrir. Parler de tombeaux et de morts cela veut dire quelque chose ici. Plus difficile de parler de toutes ces morts morales que nous véhiculons avec nous sur les chemins de nos vies et de nos relations : immobilismes, lâchetés, trahisons, égoïsmes, jalousies, haines diverses et variées. Cela a pris du temps pour traduire tout cela (pendant le sermon et avec les bilingues) pour les paroissiens qui ne parlaient que le tshiluba ! Car le Carême est bien le temps pour le dire : la guerre n’est pas seulement sur les routes du Kasaï mais aussi dans les brousses de nos cœurs.
Toujours est-il que le pape a prié pour le Kasaï. Radio Vatican (fr.radiovaticana.va – 2 avril 17) :

« J’assure de ma proximité cette nation et j’exhorte tout le monde à prier pour la paix, afin que les cœurs des auteurs de tels crimes ne restent pas esclaves de la haine et de la violence qui détruisent toujours » a déclaré le Pape François. Il a évoqué les « affrontements armés sanglants » qui font des « victimes » et des « déplacés », et qui « frappent aussi des membres et des propriétés de l’Église, églises, hôpitaux et écoles ».

Sur les réseaux sociaux – au moins ceux qui s’intéressent à l’Afrique ! - fleurissent les mentions « Je suis Kasaï ». Après les attentats de Paris et de Nice, et je voyais se répandre à travers la Toile des « Je suis Paris » et « Je suis Nice »,  et cela m’agaçait aux entournures. Je trouvais que c’était de la solidarité un peu facile, de la solidarité kleenex : quelques clics, le tour est joué et les Parisiens et les Niçois peuvent changer leurs pansements tous seuls !
Maintenant que je suis au cœur d’une tourmente et donc de l’autre côté de la solidarité, mon regard a changé. Même si les autres ne peuvent pas faire grand chose – si ce n’est prier et je m’efforce de croire que c’est beaucoup ! – le fait qu’ils « savent » me fait du bien.
Je crois que, malgré tout, l’internet fait faire un pas en avant à l’humanité. Nous avons de plus en plus conscience d’être « un », d’être une seule humanité embarquée ensemble dans un drôle de bateau naviguant sur les flots de l’incertain. Cette conscience a bien sûr besoin d’être intelligemment nourrie et cultivée et je me rends bien compte que rien n’est définitivement gagné. Mais pour moi qui suis « au Kasaï », le « JE SUIS KASAÏ n’est pas anodin même dans le bouhaha superficiel que favorisent les réseaux.


dimanche 2 avril 2017

l'Exode

Pour fuir la tyrannie de Pharaon et trouver la liberté, le Peuple d’Israël a vécu des années d’exode dans le désert. Le livre de l’Exode continue aujourd’hui sur les routes des misères humaines. Nous le lisons durant les liturgies de ce Carême et nous le vivons au jour le jour.

Kananga est une ville de 2 millions d’habitants répartis en grosses agglomérations, communes et quartiers, plus ou moins atteints de plein fouet par la guerre entre les militaires et les miliciens. Cette guerre est surtout en train de tourner à la psychose.

Le gouvernement central a envoyé au Kasaï central, dont Kananga est la capitale, de forts contingents de soldats pour tenter de mettre fin à la rébellion des miliciens de Kamuina Nsapu, qui sont surtout des jeunes et des enfants, pour sécuriser la population. Mais comment peut-on apporter la sécurité à des gens dont on pourchasse les enfants ?

Les soldats gouvernementaux encerclent et arrêtent sans trop de discernement tous les jeunes (entre 10 et 30 ans) qui semblent être des miliciens, d’anciens miliciens, des sympathisants ou des curieux. On semble être milicien lorsqu’on est sale avec des habits un peu rouge (cf. les bandeaux rouges de la milice). Quand on a quinze ans, il vaut mieux se laver et soigner ses atours ces jours à Kananga. 

Les prisons sont pleines, et notamment de jeunes qui ne savent pas trop pourquoi ils sont là. J’ai entendu dire, sans pouvoir vérifier que la prison principale faite pour 200 prisonniers dépasse maintenant les 600. Un confrère racontait qu’il avait transporté un prisonnier de la paroisse qui venait d’être libéré et qui exhalait une odeur épouvantable : pendant le peu de jours qu’il était resté en prison il avait tout du faire sur place. Pas moyen de se déplacer à l’intérieur même de la prison.

Au début de cette semaine on voyait certains quartiers se vider de leurs jeunes partis dormir en brousse plutôt que de se retrouver pris dans une rafle aveugle. Il paraîtrait que le quartier de Nganza, qui est perçu comme le quartier général des miliciens est particulièrement vide... Il faut dire que quand les militaires ne trouvent pas de jeunes à embarquer, ils emportent autre chose, argent ou valeurs.... Donc beaucoup, quel que soit leur âge, préfèrent partir, ne serait-ce que le temps que cela se calme.

Mais en cette fin de semaine, la psychose a pris une tournure plus intense.
Les interventions trop musclées des soldats amènent des gens à quitter la ville pour se réfugier dans les villages de campagne. On voit en arriver ces jours sur la colline : surtout des mamans avec un gros sac sur la tête, un enfant dans le dos et deux autres dans les pieds, qui viennent habiter chez des parents de la brousse.

Mais il y a un effet domino. La psychose se déplaçant avec les déplacés, ces dernières nuits une partie des gens du village ont dormi en forêt, plus à cause de la psychose de la guerre que d’un réel danger de guerre.

Tout prend d’ailleurs une allure irrationnelle. Les confrères qui, pour des raisons pastorales, ont intensifié leurs relations avec les villageois, racontent ce matin au petit déjeuner, qu’on emmène dans les refuges des forêts des radios et de la musique et qu’on fait la fête tard le soir, au milieu des chèvres qui bêlent et des poules qui caquettent et gloussent sans se faire trop de souci pour la guerre. C’est aussi bruyant qu’au village. On met le doigt sur un paradoxe. On va à la forêt pour se cacher des exactions des militaires, mais on se cache sans discrétion. Mais c’est la vie et la vie n’est pas à un paradoxe près.  


Les Hébreux ne faisaient d’ailleurs pas que prier dans leur désert et leur exode à eux !