vendredi 22 février 2019

la fatigue

Le soir tombe sur les collines du Kasaï. Je rentre dans ma chambre, fourbu, bien décidé à me coucher tôt ce soir. Les problèmes m’ont tenu, tenaillé et harrassé toute la journée sans un  moment de répit : la messe chez les sœurs bénédictines, la visite de leur école qui nage dans les problèmes, les jeunes qui ont besoin de travail pour payer ceci ou cela, une maman qui doit se faire soigner et qui veut que je dise un mot pour elle à l’infirmier de notre poste de santé, les entreprises qui fatiguent encore plus parce qu’elle ne sont pas là que quand elles sont là, et encore, et encore. Il y a des jours où tout conspire à vous tirer le moral dans les talons. 

Et puis tout à coup un moment de poésie, un moment suspendu, une respiration venue d’ailleurs comme un cadeau.

Sur le mur blanc passé de ma chambre, un petit gecko, beige, immobile sauf un frétillement au bout de sa queue, me regarde de ses grands yeux étonnés et semble me dire : « Pourquoi t’agites-tu ainsi, ce n’est pas toi qui vas sauver l’Afrique, ni le monde ! Fais au mieux, calmement et basta » Il tourne calmement sa tête vers le grand masque en bois noir sculpté qui est pendu juste à côté de lui : « Tu as l’air aussi guignol que celui-ci ! Arrête avec tes airs de grand sorcier ! » C’est vrai qu’ils sont drôles ce petit être vivant et ce masque noir avec ses grandes lèvres rouges et orgueilleuses. 

Nous sourions tous les deux, le gecko et moi ; il est allé se cacher sous le masque creux. Nous allons bien dormir cette nuit. 

dimanche 17 février 2019

les cohabitations (II)

Aujourd’hui dimanche à la prière du matin sur la colline, le psaume 103 :
1 Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
...
10 Dans les ravins tu fais jaillir des sources
et l'eau chemine aux creux des montagnes ;
11 elle abreuve les bêtes des champs :
l'âne sauvage y calme sa soif ;
12 les oiseaux séjournent près d'elle :
dans le feuillage on entend leurs cris.
13 De tes demeures tu abreuves les montagnes,
et la terre se rassasie du fruit de tes œuvres ;
14 tu fais pousser les prairies pour les troupeaux,
et les champs pour l'homme qui travaille.
...
16 Les arbres du Seigneur se rassasient,
les cèdres qu'il a plantés au Liban ;
17 c'est là que vient nicher le passereau,
et la cigogne a sa maison dans les cyprès ;
... 
31 Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Bénis le Seigneur, ô mon âme !

Puis à la sortie de la chapelle, l’illustration du psaume dans la prairie et sur le toit de notre maison. cadeau de dimanche! cadeau du Seigneur!





mercredi 13 février 2019

les cohabitations (I)

Composé d’un taureau et de trois vaches, qui étaient toutes portantes, notre troupeau s’est agrandi avant-hier. Un charmant petit veau gambade à travers les chaumes de la savane, nos champs de manioc et nos allées d’acacias. 
Nous attendons les prochaines naissances avec impatience. 
Le taureau demande de la circonspection parmi les badauds et les paroissiens car il a tendance à charger les inattentifs. Les novices allant s’entraîner au foot, les Kisito+Anuarite (groupe paroissial des enfants), les jeunes de notre chorale en répétition ont dû se garer à toutes jambes quand la masse taurine les a pris en chasse. 
Par contre les pique-bœufs, blancs comme neige et huchés sur leurs pattes fragiles comme des baguettes chinoises, accompagnent sans crainte et sans danger le troupeau.
Les cohabitations de la Colline se font et se défont. Vivre ensemble, humains et animaux, dans la maison commune demandent les efforts de tous. 


jeudi 7 février 2019

Emmaüs

Je mène un projet motivant avec quelques jeunes de la paroisse : peindre l’évangile des disciples d’Emmaüs (Lc 24) sur des planchettes de bois. Il y faut une provision de ténacité et de patience avec une bonne dose d’humour pour de belles découvertes. 

D’abord avec Kapuku et Tunga. Ce sont deux jeunes du village, à la fois étudiants et déjà papas, malgré leurs allures de grands ados. Toujours en quête de quelques monnaies pour manger, pour soigner un enfant, pour acheter un savon, ils se sont glissés sur le chemin d’Emmaüs avec des motivations assez éloignées de l’art lorsque j’ai dit que les œuvres pourraient – peut-être, peut-être – être exposées en Europe et vendues au bénéfice de leurs auteurs...

Même s’ils viennent souvent à la messe, ils ne connaissent pas l’histoire ! Alors on la joue en dialogue. Je fais Jésus qui débarque au milieu de leur tristesse d’après-vendredi-saint, pour les secouer et leur ouvrir les yeux. Ils doivent chercher les mots en français pour : « Les grands chefs ont sacrifié Dieu alors qu’il faisait des miracles... » Catéchèse d’adultes avant le cours de dessin !

Car après le théâtre, il faudra dessiner au crayon, agencer les scènes du chemin et du repas, peut-être esquisser Jérusalem comme Kananga la ville voisine de la colline et Emmaüs comme un des hameaux de la paroisse, puis attaquer le bois au pinceau !

L’aventure se révèle passionnante et si tout va bien, aboutira à une exposition dans le cloître de l’Abbaye, au temps pascal, le temps d’Emmaüs. Chemin à suivre donc.