Paul Fiorellino est étudiant en théologie à l’Université de Fribourg. Après son bachelor, il s’offre une année sabbatique où il accomplit son service civil et vient passer quelques mois au Kasaï. Arrivé fin octobre 18, il rentrera en Suisse en mars 19. Il livre ici les impressions de ses six premières semaines en immersion sur la Colline.
6 semaines après le départ
On voyage comme on apprend une langue. On apprend d’autres vies. D’abord, disons-le, on ne comprend rien. Puis petit à petit, l’oreille se fait aux nouveaux sons, aux nouveaux rythmes. Plus tard encore, quand les premiers mots sont en tête, on se surprend à essayer de traduire littéralement à transposer sa culture, à comparer. Et puis, peut-être,on s’essaie, on se lance. On fait des fautes. C’est dur, les mots ne viennent pas, ça accroche.
Comme un enfant se laisse glisser dans le monde qu’il découvre, je me laisse modeler par ce milieu. Ma peau s’assombrit sous le soleil équatorial mais je ne deviens pas noir pour autant. J’apprends, je m’adapte mais je ne deviens pas Africain. Je suis ce que je suis mais soudain enrichi par tous ces gens, ces regards, ces rires et ces cris que je ne connaissais pas. Je me rends compte d’une autre façon de s’exprimer, dans la parole, dans les gestes et dans le silence.
Si les façons de les exprimer sont différentes, les sentiments souvent se rejoignent. Mis en lumière par les contrastes, on ne comprend que mieux ce que nous avons en commun. Pour les théologiens et les religieux qui me liraient ici, ce me semble être une belle façon de concevoir la catholicité de l’Eglise.
Chercher le regard de l’autre est nécessaire en Suisse et malpoli ici. « Par politesse, je regarde mes interlocuteurs dans les yeux grossièrement. » Voilà, dans la langue, ce que trop souvent nous voulons faire avec les cultures. C’est un mélange qui ne fonctionne pas.
Mais il existe une autre façon. Écoutez plutôt ce français : « Enfile tes couvre-feux, tes babouches et prends ton flash avec ! On va touter un glucose avec le prof mécanisé dans sa nouvelle parcelle. On y va avec la machine des masoeurs. En passant je prendrai des unités. »[1]Cela ne veut rien dire ? Détrompez-vous. Et l’adaptation est là.
Cela fait tout juste six semaines que j’ai fermé la porte de la maison derrière moi et pris la route de cette colline. Absolument rien, à part une supposée allégeance à un homme mort et ressuscité il y a deux millénaires ne nous rassemble. Et me voilà accueilli en familier, intégré à cette improbable famille.
Déjà légèrement habitué aux bizarreries africaines, je ne suis par exemple plus étonné de voir trôner sur la table du repas un bidon de diesel rempli probablement d’autre chose que de pétrole. Mais cela m’arrache toujours un sourire. Et c’en est mille des événements comme celui-là.
Le Sanctuaire CASM est comme un sas. Autant du point de vue de la misère, de l’hygiène, de la sécurité ou encore des mentalités. Ce pourrait être une partie de définition de ce qu’est la mission aujourd’hui : créer des sas pour favoriser la rencontre des hommes et des femmes de ce temps.
Dans ce printemps perpétuel - ou serait-ce un été sans fin ? - les eucalyptus en fleurs offrent à mon sens le plus perturbé des odeurs familières de mimosa qui me font du bien.
[1]En français continental : « Mets tes pantalons, tes sandales et prends ta clé USB (sous-entendu pour pouvoir écouter de la musique)! On va manger un biscuit avec l’enseignant dans son nouveau chez-lui. On y va avec la voiture des religieuses. Je mettrai du crédit sur mon téléphone en passant ».
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