Je sors un peu groggy d’un ouvrage magnifique et éprouvant : Le Monde d’hier de Stephan Zweig, version moderne de l’histoire du Juif errant éternel. Car c’est l’autobiographie d’un homme qui a vécu les grandes tourmentes de l’histoire européenne entre 1881 et 1942. Zweig a le génie du portrait de personnes et de la description précise et souvent inattendue des événements. En quelques phrases bien tournées, en quelques paragraphes très ciselés, en quelques idées assaisonnées d’émotion, il apporte bien plus que des livres savants, documentés et interminables...
Sur le cauchemar nazi dans lequel s’enfonce progressivement sa patrie autrichienne, une simple page dit tout. Alors qu’il est à Londres, il a quelques contacts sporadiques avec sa vieille mère restée à Vienne. Il ne la reverra pas. Elle mourra sans avoir subi l’anéantissement des siens. Tant mieux, pense Zweig... Elle n’a que frôlé l’horreur : les lois du moment avaient interdit aux Juifs de Vienne de s’asseoir sur les bancs publics ! Pour une Autrichienne âgée dont les derniers liens avec les autres se trouvaient dans les jardins publics, ne plus pouvoir s’y asseoir signifie la mort sociale, avant la mort tout court.
Et l’on imagine cette vieille dame, digne et fragile, faire sa promenade dans les hasardeux squares de Vienne, regardant un banc. Puis, regardant un autre banc, passer plus loin clopin-clopant vers un rivage improbable et trop vrai.
Je crois que désormais je regarderai les bancs publics différemment.
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