samedi 29 août 2020

Soins sans frontières 8/8

PETIT ROMAN D'ETE. Rapatrié d’urgence de RDC suite à une infection, je vous raconte ici quelques moments mémorables d’une odyssée spéciale en plein coronavirus.


LE JARDIN 

Lorsqu’on m’a demandé, par téléphone au Congo, dans quel hôpital régional je voulais être admis en Suisse, j’ai dit sans hésiter : Rennaz. Parce que l’hôpital est flambant neuf et que je me réjouissais de le découvrir de face, vu que, de dos et de l’autoroute, il ne présente que l’aspect désolant d’un entrepôt de tuyaux de construction ! 

J’arrive en plein psychodrame financier et politico-administratif, mais je n’en ai cure, j’ai mes problèmes à moi. Et je suis enthousiasmé. Cet hôpital est très grand, très high tech et surtout très beau pour ceux qui aiment l’architecture moderne et sobre. Si on dépasse le côté austère et froid de l’ensemble, on est conquis par les longues perspectives de couloirs que coupent des vues sur des extérieurs de petites courettes en jardins et prairies...

Outre que la prise en charge est optimale, ma chambre m’enchante : une grande verrière donne sur le ciel, sur les montagnes et les forêts des hauts de Montreux, décor sur lequel des parapentistes peignent des figures acrobatiques et colorées. Puis plus bas et plus près, un petit muret soustrait à ma vue la zone industrielle de Villeneuve et garde, juste pour moi, un petit jardin de fleurs sauvages. Chaque jour de nouvelles couleurs - des violets, des bleus, des rouges - habillent le vert des herbes folles... 

Je rêve aux prés de chaume de ma colline au Congo, aux lis orangers et autres fleurs blanches qui viennent déranger l’harmonie verte des paysages kasaïens. La boucle est bouclée. 

 






Soins sans frontières 7/8

PETIT ROMAN D'ETE. Rapatrié d’urgence de RDC suite à une infection, je vous raconte ici quelques moments mémorables d’une odyssée spéciale en plein coronavirus




LE CERCUEIL

Je suis seul sur le tarmac de l’aéroport international de Kinshasa que le coronavirus a vidé. Enfin, pas complètement seul. A côté de l’ambulance, un avion de la REGA ; dans l’ambulance, près de moi, un jeune médecin congolais et une jeune doctoresse suisse-allemande parlent de moi en français mais dans une langue médicale que je comprends à peine. Ils se passent des dossiers et semblent bien s’entendre ; puis se quittent et la doctoresse se penche vers moi pour me rassurer, m’expliquer le vol de rapatriement et ses contraintes. La plus grande de celles-ci est la cage en plastique. Comme je suis muni d’infections mystérieuses, on mettra sur ma civière une tente en plastique transparent pour protéger soignants et membres d’équipage. Elle le dit avec une douceur convaincante et de toute façon je n’ai pas le choix. 

Ce fut fait avec le génie logistique impeccable de l’opération de sauvetage. On met dans ma petite tente une bouteille d’eau et un sachet de biscuits et sandwiches bien suisses, puis on entrepose le tout dans l’avion. 

Le vol va durer sept heures jusqu’à Genève. Comment passer ce temps ? Je bois de l’eau suisse avec plaisir, enfourne quelques biscuits puis décide de dormir si j’arrive à me retourner dans mon cercueil. 

C’est alors que je pense à un conte lu il y a longtemps - de Grimm je crois - où un pauvre tailleur réveille une princesse endormie dans un cercueil de verre.. Je me suis endormi et à mon réveil, le conte n’était pas fini. Mais il ne restait qu’une heure avant la patrie.


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jeudi 13 août 2020

Soins sans frontières 6/8

PETIT ROMAN D'ETE. Rapatrié d’urgence de RDC suite à une infection, je vous raconte ici quelques moments mémorables d’une odyssée spéciale en plein coronavirus. 


LA PINTADE

Dans ma chambre d’hôpital à Kinshasa, outre les allées et venues des infirmières, j’ai de la compagnie jour et nuit. Une pintade. En fait une machine qui tient mon chevet, chargée d’ingurgiter les données de mon état de santé. Sur son écran s’affichent d’obscurs chiffres et quatre niveaux de lignes en couleur qui dessinent continuellement en hachures plus ou moins régulières l’état de mon pouls, de mon cœur ou de ma respiration, que sais-je... Mais surtout nuit et jour et à quelques décimètres de ma tête, la machine fait des cris de gallinacée marchant sur des œufs de crocodiles. Tonalité effrayée, puis étonnée, puis indécise. Nombres binaires puis ternaires de gloussements sur différentes tessitures. Et  cela recommence sans que je comprenne à quoi tout ce ramdam rime et pourquoi la faculté ne se contente pas des graphiques silencieux...

Etant à court d’occupation, je décide d’apprivoiser ma pintade et de voir si je peux maîtriser sa vie. Je fais des mouvements spéciaux (bras levés, applaudissements) pour tester son obéissance au niveau des sons et des graphiques. Cela n’aboutit à pas grand-chose, ma pintade vit sa vie (ou la mienne) imperturbablement. Puis finalement ma seule victoire : je me suis aperçu que si je changeais ma respiration, le graphique orange adaptait ses lignes qui devenaient plus brisées, ou moins... Par contre les gloussements continuaient à leurs rythmes mystérieux...

Je l’aimais bien ma pintade. Dommage qu’on ait dû se quitter, sans savoir vraiment qui était en train d’apprivoiser l’autre. 



mercredi 5 août 2020

Soins sans frontières 5/8

PETIT ROMAN D'ETE. Rapatrié d’urgence de RDC suite à une infection, je vous raconte ici quelques moments mémorables d’une odyssée spéciale en plein coronavirus.

LA CHEVRE
Après 15 km d’ambulance depuis l’aéroport, moi et mes infections sommes admis dans un des meilleurs hôpitaux de Kinshasa. Le véhicule pénètre dans un garage, on me conduit sur ma civière dans l’antre de... Cruella. La responsable des urgences a l’air terrible dans son habit de cosmonaute en papier. Coronavirus oblige, chaque soignant est harnaché de blouse spéciale, de gants, de masque et de protège-cheveux. Comme Cruella a des lunettes fortes, je ne vois quasi aucune partie de son corps. Derrière, une voix donne des ordres secs. Quelques piqûres, quelques paramètres, puis on me laisse sur ma civière à roulettes, si étroite que je n’ose faire un mouvement. On me promet de l’eau qui ne vient pas. On me dit d’attendre. Je dis que j’ai froid car la climatisation co-règne avec Cruella qui vient et repart sans rien dire ou me promet une couverture qui ne viendra jamais. Désespérant d’avoir si froid si près de l’équateur ! Finalement on me libère et me conduit en hospitalisation... La chambre est agréable, et les infirmières très empathiques. La première s’appelle Clémence ! Cela ne s’invente pas. Il y a aussi Agathe, qui s’occupe de moi de fond en comble. Au savonnage du matin, elle met un entrain qui me réveille et fait du bien. Aujourd’hui, comme je me sens faible, tout se fait sur le lit. Agathe : « Retournez-vous, s’il-vous-plait, mais ne tombez pas du lit, sinon vous devez payer une chèvre ». Je ris. On est sur une bonne longueur d’onde avec Agathe et sa chèvre.