jeudi 24 septembre 2020

Le Roi Soleil et la Source


Il faut visiter Cotignac, un charmant village du cœur de la Provence. Il recèle d’étonnantes habitations troglodytes, creusées depuis des lustres dans une paroi rocheuse qui domine le centre historique. Mais cette attraction intéressante est éclipsée par Marie et Joseph ! Deux sanctuaires catholiques singuliers occupent les parages isolés du village. D’abord, sur une colline à deux pas du bourg, se trouve la  basilique de Notre-Dame-des-Grâces qui fait mémoire d’une apparition mariale et d’un vœu qu’y a fait la reine Anne d’Autriche pour avoir un enfant et qui aboutit à la naissance de rien moins que le Roi Soleil. 

Dans cette magnifique et sauvage campagne provençale où le soleil est un roi incontesté et omniprésent, Louis XIV, en âge d’homme, est venu s’incliner devant Marie à qui il dût la grâce d’exister ; le sanctuaire y conserve ce lustre de noblesse et de gloire humaine. 

Mais heureusement un autre lieu nous convie à l’humilité. Plus haut dans une épaisse forêt de chênes, un petit monastère de sœurs contemplatives préserve un lieu béni par une apparition de saint Joseph qui aurait demandé à un pouilleux villageois de soulever une grosse pierre pour laisser jaillir une source, une eau fraîche pour le corps et pour l’âme...

J’aime bien les thématiques complémentaires de ces duos : Marie mais aussi Joseph, Louis XIV mais aussi un humble bûcheron, un soleil brûlant mais aussi une source rafraichissante. De quoi donner quelques repères aux pèlerins des abords de Cotignac ! 





mardi 22 septembre 2020

Iphigénie


Avec Iphigénie, l’envol d’une femme et d’une île (Editions Saint Augustin 2020), Thierry Bueche, ancien professeur de latin et grec au Collège de l’Abbaye, nous livre un petit roman sympathique (dans le sens le plus noble du terme) qui navigue entre la mythologique antique et l’économie d’aujourd’hui, entre les plages grecques et les lacs alpins, entre les rêves exaltants et les réalités implacables du 21e siècle. 

 

Iphigénie. C’est le nom d’une jeune femme d’aujourd’hui, qui va prendre le chemin inverse de l’Iphigénie de la mythologie et de la littérature grecques. Cette dernière avait héroïquement accepté que son père Agamemnon la sacrifie aux dieux pour que  l’armée des Grecs puisse partir en guerre contre Troie. Elle est symbole d’une soumission à des lois, familiales et sociales, plus grandes qu’elle...

 

Emu et interpellé par ce destin tragique, Thierry Bueche décide de camper une Iphigénie d’une autre trempe, en apparence. L’engrenage initial est savoureusement analogue :  Le père de l’actuelle Iphigénie est un Grec qui a abandonné naguère femme, fille et île pour émigrer en Suisse et y faire fortune. Cela lui réussit, mais il lui faut toujours plus et il met en place un plan machiavélique pour sacrifier sa fille à ses visées socio-économiques...

Or Iphigénie se rebelle et c’est en vivant parmi les héros simples et les nymphes capricieuses des Alpes que la jeune femme trouvera le chemin de son envol : elle ne sauvera son destin qu’en sauvant le destin de sa petite île, abandonnée au sud de la touristique Corfou. Mais bien sûr ce ne sera pas facile et toutes les maladies sociales de la Grèce d’aujourd’hui se ligueront pour empêcher cet essor.

 

Calquant sa trame sur celle des tragédies grecques avec des tonalités épiques, le récit se développe bercé par une écriture d’une simplicité désarmante.

Alors que les tragédies de la Grèce antique détestent le happy end, Thierry Bueche, avec un optimisme que certains jugeront béat et naïf, nous offre une fin de conte de fée et on se prend à rêver que son histoire puisse être vraie. Si seulement. Mais peut-être a-t-on besoin de conte pour survivre à tout ce que le 21e siècle nous impose et qui laisserait coits même Homère et Euripide.  

jeudi 17 septembre 2020

le peu




Dans une étape de vacances à travers la Provence, je descends la Cannebière de Marseille pour me requinquer aux odeurs iodées et diverses du Vieux Port. Je lève les yeux vers un ciel si bleu qu’il fait vraiment honneur au Grand Sud.

Tout en haut de la façade borgne et lépreuse d’un grand bâtiment ancien, je vois ce tag étonnant en immenses lettres et mots mystérieux : YAPA KELKUN QUI VEUX TOMBE AMOUREU DE MOI. Orthographe certifiée et un beau cœur à la place du dernier O.

En plus c’est signé : Pö ! ce qui rend l’inscription plus intéressante que prévu. Je rétablis l’orthographe générale et corrige « Pö » en « Peu ». 

Peu de quoi ? Peu de tout, peu de superflu, peu de gaspillage, peu d’indigestion, peu de vitesse et de surconsommation !

Ainsi ne tombons-nous pas dans une invitation à la sobriété et à l’ascèse, toutes deux bienvenues dans ces après-confinement. Alors que trop de signaux nous incitent à reprendre, comme avant, la course effrénée au toujours plus, cette invitation à aimer le peu et le simple, à mettre au cœur de nos existences le sobre, le petit et le frugal reste pourtant un idéal philosophique et humaniste très moderne et très exigeant. Il me plaît qu’au centre de la ville de toutes les exagérations on ose y aller d’une leçon de modestie et de modération ! 

Il ne faut pas désespérer de l’humanité : Mettons-nous à une simple et saine sobriété pour ne pas laisser les seuls Marseillais tomber amoureux du Peu.


vendredi 11 septembre 2020

l'or et l'alu


Je suis à Lausanne et j’ai du temps à faire passer entre deux rendez-vous. Comment le perdre le plus intelligemment possible ? Difficile et pénible d’être intelligent dans les magasins. Je me rabats donc sur les églises qui ont souvent l’art de nous envelopper de sagesse et de paix sans que nous nous en rendions compte. 
Je pense à la basilique Notre-Dame du Valentin, l’église-mère des catholiques du coin et je me dirige vers elle avec un peu de crainte et un fond d’incertitude : peut-être sera-t-elle fermée ; j’ai lu quelque part que la grande fresque du chœur est en restauration...
Or l’église est ouverte et comme chaque jour une immense hostie y rayonne. Mais derrière elle, tout le chœur est envahi jusqu’à la voûte par un gigantesque échafaudage, enchevêtrement improbable de tubes métalliques, d’escaliers en aluminium, de planches jaunes et rouges...
Je me laisse faire par cette ambiance étonnante et paradoxale, comme si les entrepôts de ferrailles de nos banlieues avaient investi le saint des saints. Derrière la Présence qui illumine le lieu depuis l’hostie, des apôtres peints épient la nef à travers les tubulaires, les restaurateurs d’art, tout en haut, dirigent leur lampe de travail sur la voûte dorée qui grésille, pendant que, tout en bas à gauche, le sacristain, masque sur la figure, époussette la Vierge en bois peint...
Un moment d’église qui devient parabole d’Eglise : un chantier, un désordre calculé et des flashes lumineux vers les ors du ciel !

jeudi 3 septembre 2020

l'oecuménisme dans l'art



Les hasards de la canicule d’août m'ont poussé à visiter l’ombre et la fraîcheur relatives du temple d’Yverdon, et cela vaut vraiment le détour. Le bâtiment est typique de l’architecture réformée qui veut rompre résolument avec le décorum catholique. 

C’est une belle halle bien proportionnée avec des bancs en amphithéâtre autour de la chaire. Le message premier est clair : il faut se laisser pénétrer par la parole de Dieu et du pasteur. Pourtant après cette entrée en matière, les clins d’œil œcuméniques sont nombreux : une immense composition picturale en cinq panneaux de Louis Rivier - un peintre du cru, qui a eu ses heures de gloire au milieu du XXe  - veut rien moins que dépeindre le Mystère de la Rédemption. Pour cela il faut voir large, au sens propre et au sens figuré.

Ainsi le peintre a rassemblé autour de la croix du Christ tout un concours de personnalités diverses et variées comme les grands réformateurs protestants, les grands figures de la sainteté catholique, les prophètes et les philosophes des temps antiques : pendant que Calvin et Luther semblent fouiller ensemble une bible, le pape Pie XII esquisse un geste de bénédiction et Pascal médite et saint Vincent de Paul croise les bras en attendant une action charitable à faire, pendant que des philosophes ou sages en turban attendent l’éclosion de la vérité finale. Ce peuple est si compact que le spectateur se demande si une place autour de la rédemption se libérera pour lui ! Mais qu’il ne s’inquiète pas, qu’il tourne la tête et sur le mur opposé du temple se trouvent les anciennes stalles médiévales récupérées et presqu’ajustées long du mur. Presque parce qu’au milieu des apôtres et des prophètes sculptés reste une place est vide et chacun peut s’y voir logé.